La pièce Naissance – une oeuvre théâtrale…
L’auteur Karen Brody, mère de famille, dramaturge et cofondatrice du mouvement BOLD, a interviewé une centaine de femmes entre 2000 et 2004 sur leur vécu de grossesse et d’accouchement et elle s’est largement inspirée de ces récits d’expériences pour composer son œuvre. En ce sens, c’est une pièce-témoin.
Naissance met en scène plusieurs portraits de femmes relatant le cheminement de chacune pour leurs accouchements. D’abord, leurs croyances issues des représentations culturelles, sociétales et familiales. Ensuite leurs choix pour donner la vie selon leurs critères : la peur de la douleur, la conviction que le corps sait accoucher, la préservation de leur zone sexuelle, l’envie d’intimité… Enfin, la réalité de leur vécu : ce qu’elles ont dû subir, ce qu’elles ont cru pouvoir endurer, le pouvoir de décision qui leur était arraché. Le récit de leurs histoires est à la fois drôle et émouvant et leurs choix sont exposés sans jugement. Depuis 2008, des dizaines de représentations ont été données dans toute la France, par les Femmes Sauvages et d’autres associations locales. Naissance est une pièce militante parce qu’elle sensibilise en levant le voile sur la réalité de l’accouchement en Occident. Les femmes ont-elles toutes les cartes pour choisir en conscience l’accueil de leur enfant ? L’accouchement médicalisé est-il si sécuritaire ? La douleur des contractions, effacée par la péridurale, est-elle la seule souffrance des femmes à considérer ?
L’accouchement naturel ou à la maison est-il une lubie rétrograde ?
L’évolution du monde médical, la prise de conscience et la remise en question sont encore trop lentes, alors que les professionnels de santé en général le premier interlocuteur à transmettre l’information aux femmes. Si eux-mêmes ne reconnaissent pas les changements à mettre en œuvre dans l’accompagnement des grossesses et des naissances, comment peuvent-ils inviter les femmes à mieux sentir et écouter ce qu’elles souhaitent ?
Quand les institutions flanchent et faillissent à leur mission, les associations et individus engagés jouent un rôle primordial. L’expression artistique est un formidable moyen de communication. La pièce de théâtre permet au spectateur d’être témoin ainsi que de revivre des émotions niées.
Naissance a souvent été comparée aux Monologues du vagin dans son inspiration à partir de témoignages, dans son ton, cru et réaliste, dans son succès et dans son effort pour dénoncer les violences envers les femmes.
Le mouvement BOLD – des initiatives concrètes
Montrer Naissance au public participe au mouvement international BOLD* dont le but est d’améliorer les conditions d’accompagnement des femmes pendant la grossesse et l’accouchement pour qu’il soit plus humain, plus respectueux, plus intime, moins dirigiste, moins interventionniste.
Les choix de prise en charge peu ou non interventionniste sont très limités. Mais cette prise en charge peut s’humaniser si on laisse les femmes s’exprimer, livrer leurs points de vue et ressentis sur ce qu’elles ont vécu et sur ce qu’elles souhaitent. Les femmes s’informent ainsi entre elles, chacune devenant actrice de ce mouvement via les événements variés que propose BOLD :
• la pièce de théâtre Naissance, le plus souvent portée par des groupes de femmes et de mères,
• les rencontres-débats, proposés après la représentation ou organisés indépendamment, réunissent les usagers du système de santé et des représentants locaux du réseau de périnatalité,
• les Tentes rouges, espaces intimes d’échanges libres et de soutien entre femmes sur la grossesse, l’accouchement, et toute question féminine, reprenant les anciennes traditions, par exemple amérindienne des Tentes des Lunes, et d’autres gynécées.
De plus, chaque fois que cela est possible, les événements BOLD sont filmés et le film est envoyé à différentes personnalités du monde politique, médical ou du show-business, susceptibles d’influencer l’amélioration de la prise en charge de la naissance.
En 10 ans, le mouvement BOLD a permis de toucher plus de 100,000 personnes et récolter 1 million de dollars pour l’amélioration des conditions d’accouchement des femmes aux États-Unis.
* BOLD est un adjectif qui signifie « hardi » et en même temps un sigle pour Birth On Labor Day, « labor » évoquant la femme en travail lorsqu’elle accouche.
L’association Femmes Sauvages – des écoféministes aux aguets
L’association Femmes Sauvages a déniché et fait traduire en français la pièce en 2007. Quelle découverte pour ces Femmes Sauvages et pour le public ! Le mouvement BOLD France était né. C’est également une des fondatrices de l’association qui a proposé la première Tente rouge en France en 2008. À cette époque, il y a eu une convergence d’idées et d’initiatives issues de réflexions sur la parentalité, les alternatives à la médecine moderne, l’accompagnement de l’enfant… Aujourd’hui, de plus en plus de personnes savent ce qu’est une doula, une tente rouge, un projet de naissance, une sage-femme libérale, l’ocytocine, une baignoire de naissance, et connaissent les noms d’Ina May Gaskin ou Michel Odent. C’est un fait. Mais c’est encore une part infime des futurs parents et il y a énormément de travail à faire pour que tous soient correctement informés et que les femmes choisissent en conscience leur accouchement.
Extrait du Manifeste des Femmes Sauvages :
« Mais qui sont-elles ?
Des allumées qui courent nues dans les bois ? Des sorcières qui mangent des racines ? Accouchent- elles debout et allaitent-elles leurs petits ? Quand même pas ! … si ?
Est-ce que ce sont des lesbiennes misandres ? Des sorcières qui mangent leur placenta ? Des féministes qui ne s’épilent pas ?
Nous, Femmes Sauvages, sommes pour la plupart citadines, mais adorons faire des câlins aux arbres. Avons choisi d’être mère et avons accouché debout, allaité, mais savons que c’est un chemin difficile à découvrir. Aimons les hommes, mais aussi les femmes, aimons surtout ceux qui savent respecter tous les humains, quel que soit leur genre ou leur âge. Choisissons de nous épiler, coiffer, maquiller. Ou pas. N’idéalisons pas les traditions passées, mais savons ce que nous avons aujourd’hui perdu. Et gagné.
Alors, nous avons créé il y a quelques années l’association Femmes Sauvages qui est prête à s’engager dans les initiatives qui offrent à toute femme l’occasion d’être connectée ou de se reconnecter à elle-même, à son environnement et son entourage. Permettre à chaque femme de trouver et expérimenter sa liberté pour sentir ce qui est bon pour elle, ce qui fait sens. »
Extrait de « Notre féminisme »
Dans notre vision de la femme, la mère n’est pas un autre de la femme ; elle en est une modalité contingente, que l’on peut choisir de vivre ou pas. (…) Nous ne confondons pas féminité et parentalité. (…)
Nous ne cherchons pas à imposer notre point de vue, à en faire une nouvelle norme pour les femmes. Nous militons précisément contre les modèles normatifs et les dogmes et nous souhaitons les conditions socio-économiques qui rendent possible la plus grande variété de styles de vie.
Or actuellement, notre vision des choses n’est guère reconnue comme légitime et c’est plutôt le modèle de la femme assujettie aux impératifs de la société de consommation qui domine.
Le combat féministe n’est pas achevé, loin de là. Il ne faudrait pas nous endormir sur nos lauriers.
Le corps de la femme fait encore l’objet d’une brutalisation inacceptable, dans la médecine moderne (gynécologique et obstétricale) ; le nier serait absurde et méprisant du vécu douloureux de tant d’individus (…) N’a-t-on pas le droit d’être exigeant, plutôt que de se contenter de ce qu’on a déjà et qui se révèle insuffisant ? En quoi une attitude, qui me semble saine, d’esprit critique équivaudrait-elle à de l’ingratitude ? En quoi notre demande de prise en compte de certaines spécificités du corps féminin ruine-t-elle le combat pour l’égalité des droits ? Être juste et équitable, ce n’est pas simplement appliquer sans discernement et universellement un droit ; c’est répondre aux besoins spécifiques de chacun, qu’il soit homme ou femme.
Que certains se détrompent, notre vision des choses est tout sauf une mode. C’est le fruit d’une réflexion profonde et courageuse. Profonde car elle touche au plus fondamental de nos existences, à cette recherche que chacun mène sur le sens qu’il veut donner à sa vie. Courageuse car souvent elle a dû se faire à contre-courant, et contre les standards oppressants d’une société fondée sur le primat matérialiste, primat qui ne suffit plus à satisfaire nos aspirations. Bien sûr, grâce aux luttes de celles et ceux qui nous ont précédé, nous avons le luxe d’être plus exigeants et de rechercher de nouvelles formes d’émancipation vis-à-vis des contraintes matérielles de nos vies. Et nous sommes infiniment reconnaissantes envers les féministes des années 70. Mais reconnaissance ne signifie pas loyauté obtuse et irréfléchie. Notre vie est maintenant et ici.